Charles Gave revient sur l'attaque menée par le Hamas contre Israël, le long de la bande de Gaza, dès le 7 octobre 2023. Il s'étonne d'abord que les 5000 roquettes tirées aient pu être acheminées vers Gaza, alors que c'est un territoire particulièrement surveillé. Ce sont, semble-t-il, les services de renseignement qui posent question : n'a-t-on pas développé une technologie de surveillance électronique et par satellite au détriment de celle assurée par les agents de terrain ? Le cas se présente, quoi qu'il en soit, comme révélateur de failles dans les services.
L'armée israélienne devait aussi, selon toute vraisemblance, sous-estimer les capacités militaires et stratégiques du Hamas. Il y a également l'idée selon laquelle, à travers les accords d'Abraham, les États du Golfe auraient négligé l'importance de la question palestinienne. L'Iran, par ailleurs, apparaît comme un pays divisé entre les théocrates finançant le terrorisme international, et une population préférant vivre en paix. S'il y avait une implication de l'Iran (plus probable que celle du Qatar en termes de moyens d'action), elle serait de nature à remettre en cause, évidemment, le fait que les États-Unis n'allaient pas, à date récente, à l'encontre des exportations pétrolières iraniennes, d'où une menace, à terme, pour le niveau de vie des Iraniens.
Même l'Arabie Saoudite se retrouve, de fait, dans une situation compliquée, non seulement vis-à-vis d'Israël mais aussi, entre autres, vis-à-vis de la Russie. Que penser, en outre, du rôle de la Turquie, laquelle a toujours été une grande puissance dans cette région du monde ? Pour en revenir à la Russie, elle a en tout cas les mains libres pour finir la guerre ukrainienne. Les Américains, qui ont livré sept ans de leur production de missiles à l'Ukraine, se tournent en effet vers l'aide aux Israéliens, mais sans moyens.
Autre hypothèse du côté arabe : des armes ont pu être achetées à l'Ukraine par le Qatar pour être envoyées au Hamas. Le montage américain, lui, est complexe depuis le début. Ce n'est pas tellement, in fine, de l'argent qui a été envoyé à l'Ukraine, dans le sens où des missiles américains ont été vendus, probablement à dix ou quinze fois plus que leur prix : la livraison se faisait, l'État américain payait (l'État ukrainien devant en principe rembourser à la fin de la guerre, mais il n'est pas réaliste de le penser), et le commerce se faisait, dans le fond, entre les États-Unis et les États-Unis eux-mêmes, puisqu'allant du trésor américain à celui de Lockheed Martin, le tout étant payé par la dette. L'impact se fera sur deux variables économiques extrêmement importantes : le prix du pétrole, et les taux d'intérêt à cause des déficits budgétaires.
Les pays européens en souffriront d'autant plus, en tant que victimes collatérales (du fait de leurs affinités malvenues avec la puissance américaine, et parce que nos pays sont dans la position incohérente d'alliés d'Israël et de soutien financier, sans aucun contrôle, d'une organisation comme le Hamas). Concernant l'avenir des BRICS, on avait assisté au début d'une recomposition diplomatique mondiale liée au conflit russo-ukrainien, partant de la Russie vers la Chine en passant par la Turquie, l'Iran et l'Inde.
Ce mouvement d'émancipation par rapport au colonialisme blanc (colonialisme blanc représenté par le G7, le FMI et la Banque mondiale) n'a pas de raison de s'arrêter. Certes, l'Arabie Saoudite et l'Algérie vont sans doute devoir attendre avant de rejoindre les BRICS, mais ceux qui veulent éviter de se retrouver face à un porte-avion américain verront toujours l'intérêt d'une alliance avec la Russie ou avec la Chine. Aussi paradoxal que cela paraisse, le projet de grand couloir de l'océan Indien devrait sortir plus fort de la reprise du conflit israélo-palestinien de 2023.
Israël apparaît, du moins au Moyen-Orient, comme le porte-avion du colonialisme américain ou européen, quoi que l'on en pense. La Russie, de son côté, n'aurait plus qu'à prendre Odessa, la seule porte de sortie de l'Ukraine (pays, du reste, écartelé entre la Hongrie au sud, la Pologne à l'ouest, et la Russie à l'est). En cas de changement de régime iranien, le projet de grand couloir géopolitique non occidental aurait encore plus de chances d'aboutir. Le mouvement de l'Asie centrale vers l'Inde devrait donc se poursuivre en tout état de cause.
Cependant, si le Moyen-Orient s'en retrouvait exclu, du moins temporairement, ce serait dommage pour l'Europe, qui pourrait dans le cas contraire bénéficier du développement du Moyen-Orient du fait de sa proximité relative, tandis que les gagnants, en cas d'exclusion du Moyen-Orient au détriment des pays européens, seraient plutôt le Japon et la Chine. On pensait que le conflit israélo-palestinien était en fin de vie, maintenant les Européens ont intérêt à souhaiter la fin du régime des Mollahs en Iran. En tout cas, les cartes sont en train de tomber.
Pour comprendre, avec Charles Gave et sa fille Emmanuelle Gave, les conséquences économiques, pour la France, de la guerre au Moyen-Orient, il faut revenir à la situation consécutive à la chute du mur de Berlin en 1989 : dans un premier temps, Francis Fukuyama évoquait la fin de l'histoire ; dans un deuxième temps, Samuel P. Huntington passait au choc des civilisations. Depuis les accords d'Abraham, il était question d'une réconciliation entre les fils d'Isaac et ceux d'Ismaël. Il est évident que ce qui s'est passé le 7 octobre 2023 était une tentative de faire échouer les accords d'Abraham, en provoquant une action abominable puis une réaction abominable. Il s'agissait d'un piège, à l'instar des événements du 11 septembre 2001.
Emmanuelle Gave ouvre, à ce propos, une parenthèse sur les Évangiles et la joue tendue : cette dernière ne veut pas dire qu'il faut se laisser faire, mais qu'il faut prendre du recul, pour préparer le coup d'après avec plus de réflexion. Toujours est-il que le croissant de développement déjà évoqué plus haut, s'il n'est pas fondamentalement remis en cause, risque d'être freiné par la reprise du conflit au Moyen-Orient, et le problème de l'Iran reste entier. Il faut se souvenir également du choc pétrolier de 1973 et de son impact inflationniste sur les pays occidentaux. Les événements du 7 octobre 2023 vont-ils provoquer une crise comparable ? Que nous reste-t-il si nous ne pouvons avoir ni le pétrole russe, ni celui du Moyen-Orient ?
Il ne faut pas oublier non plus que, dans un pays comme la France, une hausse du prix du pétrole entraîne une hausse des impôts. Avec une hausse des impôts et une baisse de notre niveau de vie, nous allons vers une récession, qui entraînera à son tour une baisse des recettes fiscales. Donc il faudra emprunter d'autant plus. Or, les taux de marché ont monté, sans compter l'augmentation de la pression de la dette, indexée sur l'inflation, et peuvent encore monter sous la pression allemande, dans un contexte inflationniste créé par la BCE, qui a imprimé trop de billets.
Si la quantité de monnaie augmente de 500 % dans une économie avec, tout au plus, une croissance de 2 % par an, la masse de monnaie excédentaire va d'abord dans l'immobilier. La BCE a directement acheté le déficit budgétaire des pays, ce qui était formellement interdit par tous les traités, tout comme était interdite l'émission obligataire, qui a pourtant été faite, avec une garantie commune de toute l'Union européenne. La mutualisation des dettes est non seulement interdite, mais également anticonstitutionnelle en Allemagne.
C'est à se demander si le Covid-19 n'est pas l'instrument qui a été choisi pour prétendre qu'il était impossible de prendre d'autres mesures, prétexte d'autant plus évident que les statistiques de soi disant mortalité du Covid-19 n'apparaissent pas dans les statistiques démographiques de la France. Maintenant, les prochains problèmes auxquels il faut s'attendre concernent les taux d'intérêt, les déficits budgétaires, la baisse du niveau d'activité économique et la baisse du niveau de vie. Les effets de l'enclenchement s'annoncent difficiles à arrêter, d'autant plus que le marché obligataire est lui aussi devenu un désastre, dont même les médias de masse commencent à parler.
Le dollar, lui, va mieux tenir que l'euro en l'occurrence. Déjà, les Américains bénéficient d'une indépendance, dans le domaine de l'énergie, que les Européens, d'une manière générale, n'ont pas, même si les Américains ont eux aussi un problème de marché obligataire comparable au nôtre. Quant au Bitcoin, un État souverain peut demander à avoir accès aux transactions effectuées par ses ressortissants mais, en tant que crypto-monnaie, le Bitcoin échappe en principe aux effets directs des politiques gouvernementales, dont l'euro numérique se présente comme une menace pour la liberté que représente encore le cash.
Dans ce contexte, l'entretien avec l'économiste Jacques Sapir permet d'abord de faire un point sur les différents scénarios possibles de sortie du conflit russo-ukrainien. Sapir, à ce propos, rappelle ce que la Russie attend de l'Ukraine : que cette dernière n'entre pas dans l'OTAN, et qu'elle se désarme. Ces deux conditions seraient acceptables dans le cas d'un gouvernement qui aurait pour objectif la survie de son pays. L'avenir de l'Union européenne étant incertain à l'horizon des dix ou des quinze prochaines années, l'Ukraine aurait intérêt à accepter les conditions russes, sachant son existence menacée non seulement par la Russie mais aussi, surtout en cas de fin de l'Union européenne, par des pays tels que la Hongrie et la Pologne.
Pour l'instant, le nationalisme identitaire ukrainien, bien que minoritaire dans le pays, est toujours aux commandes, imposant sa volonté à Volodymyr Zelensky. En 2014, le commerce avec la Russie représentait 45 % du commerce extérieur ukrainien, celui avec l'Union européenne 27 %. Autrement dit, la Russie représentait, pour l'Ukraine, une fois et demi l'ensemble du commerce ukrainien avec l'Union européenne. Actuellement, l'Ukraine est bloquée dans son processus de négociation, soit à cause de l'OTAN, soit à cause de la pression des nationalistes identitaires ukrainiens. L'hypothèse la moins mauvaise pour l'Ukraine est celle qui lui permettrait de sortir de ce conflit comme la Finlande s'était finalement relevée de la "guerre de Continuation" soviéto-finlandaise (entre le 25 juin 1941 et le 19 septembre 1944).
Du point de vue militaire, on a encore eu la confirmation du fait qu'un armement moyen sur le plan de la performance technologique mais, en même temps, disponible en grand nombre, était plus efficace qu'un armement sophistiqué mais coûteux, difficile à entretenir et disponible en petit nombre. La létalité des armes modernes est telle que, en cas de conflit de haute intensité en Europe en 2023, il s'agira forcément d'une guerre de batterie contre batterie, principalement d'artillerie. Les Russes, par ailleurs, sont engagés dans une production quotidienne massive de drones.
Un porte-avion américain peut encore servir à maintenir à distance les avions de l'adversaire, cependant les missiles ont une portée de 1000 kilomètres tout au plus, ce qui ne permet d'avoir qu'un contrôle de l'espace aérien autour d'une flotte et, surtout, l'équipement militaire américain est certes coûteux, mais surestimé en termes de puissance. Dans ces conditions, les défenses américaines ne résisteraient probablement pas à une attaque à saturation. La force navale américaine, dans tous les cas, n'est pas adaptée à l'élimination du Hamas, laquelle nécessiterait des troupes terrestres.
Par cette transition, Sapir en vient à son analyse du conflit de Gaza et du conflit israélo-palestinien dans le cadre défini plus haut, celui d'une réorganisation du monde autour des BRICS, réorganisation potentiellement retardée par le retour au choc des civilisations auquel on assiste. Sapir présente le Hamas comme une organisation terroriste, qui plus est islamiste, dont le but n'est pas la libération de la Palestine ni une solution à deux États, mais la victoire de la bannière de l'islam au Moyen-Orient et dans le monde. La démarche eschatologique de cette organisation fait que ses membres accordent une importance secondaire au nombre de morts.
Les autres organisations palestiniennes ayant, pour leur part, des objectifs nationalistes, elles n'excluent pas la négociation. En revanche, il est impossible de négocier avec les tenants d'une démarche eschatologique, lesquels ne veulent que la conversion ou la mort des autres. Il faut rappeler aussi que cette organisation qu'est le Hamas a été favorisée par le gouvernement israélien (relation parfois présentée, schématiquement, sous le jour d'une création, interprétation qu'il faut lire en connaissance des tentations manichéennes liées à l'intensité du conflit). La presse israélienne se montre volontiers critique à l'encontre du gouvernement de Benyamin Netanyahou. Les faits du 7 octobre 2023 peuvent s'expliquer par une attention plus grande accordée, du côté israélien, à la menace iranienne qu'à celle du Hamas. L'entretien se termine par un débat entre Sapir et Gave autour de la viabilité d'une solution à deux États.
C'est là que se pose, plus généralement, la question d'une guerre mondiale ou d'un monde en guerre, selon les termes de l'entretien avec le criminologue Xavier Raufer et le député européen RN Hervé Juvin. En présentant son livre Jeffrey Epstein - L'âme damnée de la troisième culture, Raufer souligne le fait que le sujet rejoint celui des conflits mondiaux, car le lien entre ces derniers et Jeffrey Epstein (1953-2019), prédateur sexuel officiellement retrouvé pendu dans sa cellule de prison, anciennement proche des dirigeants politiques et économiques américains (notamment ceux du Parti démocrate et des grandes entreprises de la Silicon Valley), tient en quelque sorte à la démonstration de ce qu'est le vrai visage de l'impérialisme planétaire.
Gave en revient de ce fait à la crise de légitimité des dirigeants occidentaux et de leur entourage. La problématique soulevée par le conflit israélo-palestinien, ravivé depuis le 7 octobre 2023, interroge le devenir de l'organisation des pays non occidentaux, lesquels, désormais hostiles aux élites corrompues de l'Occident impérialiste, essaient de s'organiser de façon autonome, à travers notamment le croissant géopolitique, déjà mentionné plusieurs fois au fil des paragraphes précédents, en train de se former autour des pays de l'océan Indien.
À l'appui des propos de ses deux interlocuteurs, Juvin constate que, contrairement aux principes énoncés par les tenants de la globalisation, ce n'est pas le rule of law qui régit le marché dominé par ces acteurs, fait également vérifiable au niveau français, où les lois sont soit perverties, soit inappliquées. C'est pourquoi les BRICS accusent les pays occidentaux de leur vendre une doctrine légaliste que ceux-ci ne mettent pas en pratique à leur propre niveau. Face au conflit israélo-palestinien, l'Union européenne, dont l'influence recule dans le monde, se retrouve prise au dépourvu, peinant à réaliser qu'il ne suffit pas de produire des textes ou de donner de l'argent pour permettre aux conflits de trouver une issue. De plus, l'idéologie de la CEDH à montré ses limites face aux attaques terroristes.
Israël, qui incarnait un rêve pour certains, voit son avenir menacé à l'horizon de la prochaine décennie. En termes d'estimation de durée, je note, de ce point de vue, un parallèle avec ce qui a été dit plus haut concernant l'Union européenne, Israël et l'UE ayant en commun l'incertitude quant à leur avenir à moyen terme. La question est de savoir si le conflit va s'étendre, et dans quelle mesure. D'où l'intitulé de l'entretien : nous n'allons peut-être pas vers une guerre mondiale, mais nous allons vers un monde en guerre. Les conflits locaux, poursuit Juvin, risquent en effet de se multiplier. Par exemple, au Sahel, des groupes armés sont en train de se constituer avec l'ambition d'établir un nouveau califat. La perspective qui se dessine est celle d'une guerre de civilisation. C'est pourquoi la France doit revenir à une politique de civilisation, comme le font déjà d'autres pays dans le monde en se référant aux conceptions du droit de Carl Schmitt (1888-1985). Ce virage nous serait profitable à tout point de vue, y compris sur le plan économique.
Parmi les tendances lourdes qui se dégagent, Recep Tayyip Erdoğan, le président de la Turquie, a lancé le projet d'un grand canal à grand gabarit, à l'ouest d'Istanbul, canal qui permettra à la mer Noire d'accéder directement à la mer Méditerranée, donc sans passer par les Dardanelles ni se plier aux accords de Montreux. Raufer souligne que c'est un coup de génie, l'équivalent, au vingt-et-unième siècle, du canal de Suez et du canal de Panama, car un débouché pour tout le continent asiatique. Ce canal est en train d'être creusé, les travaux sont en cours. Pendant qu'Ursula von der Leyen, agent pro-américain déclaré, adhérait à la politique américaine de suppression de la vente du pétrole russe, bloquant des cargos en attente, ceux venant d'Arabie Saoudite, assurés en Russie, pouvaient, eux, circuler.
L'apaisement des russes est d'autant plus grand que, le pétrole qu'ils vendent arrivant ou non à destination, de toute façon il est déjà payé. Cet exemple montre une fois de plus l'inconséquence (pour ne pas dire la bêtise) de von der Leyen et des européistes. C'est d'autant plus vrai que les Turcs ont pu racheter le pétrole russe à moitié prix, ce qui a permis à la Russie de gagner encore plus d'argent. Indirectement, c'est donc von der Leyen qui a financé la campagne électorale d'Erdoğan. Parmi les scénarios envisageables, aucun, pour l'instant, n'est favorable aux pays européens. Juvin conclut l'entretien en rappelant que, d'ici à 2030, les pays de l'océan Indien (y compris les pays d'Afrique de l'est) seront devenus le premier bassin de main d'œuvre jeune et qualifiée au monde. Actuellement, l'Inde forme chaque année entre quinze et vingt-cinq fois le nombre d'ingénieurs des États-Unis. Les Indian Institutes of Technology bénéficient d'une reconnaissance mondiale. On découvre tous les jours, en outre, de nouvelles richesses à l'est de l'Afrique. Et ceux qui connaissent tout le monde se trouvent aujourd'hui à Mascate, la capitale d'Oman. Par conséquent, si la France veut s'en sortir, elle doit devenir un acteur eurasiatique.
L'armée israélienne devait aussi, selon toute vraisemblance, sous-estimer les capacités militaires et stratégiques du Hamas. Il y a également l'idée selon laquelle, à travers les accords d'Abraham, les États du Golfe auraient négligé l'importance de la question palestinienne. L'Iran, par ailleurs, apparaît comme un pays divisé entre les théocrates finançant le terrorisme international, et une population préférant vivre en paix. S'il y avait une implication de l'Iran (plus probable que celle du Qatar en termes de moyens d'action), elle serait de nature à remettre en cause, évidemment, le fait que les États-Unis n'allaient pas, à date récente, à l'encontre des exportations pétrolières iraniennes, d'où une menace, à terme, pour le niveau de vie des Iraniens.
Même l'Arabie Saoudite se retrouve, de fait, dans une situation compliquée, non seulement vis-à-vis d'Israël mais aussi, entre autres, vis-à-vis de la Russie. Que penser, en outre, du rôle de la Turquie, laquelle a toujours été une grande puissance dans cette région du monde ? Pour en revenir à la Russie, elle a en tout cas les mains libres pour finir la guerre ukrainienne. Les Américains, qui ont livré sept ans de leur production de missiles à l'Ukraine, se tournent en effet vers l'aide aux Israéliens, mais sans moyens.
Autre hypothèse du côté arabe : des armes ont pu être achetées à l'Ukraine par le Qatar pour être envoyées au Hamas. Le montage américain, lui, est complexe depuis le début. Ce n'est pas tellement, in fine, de l'argent qui a été envoyé à l'Ukraine, dans le sens où des missiles américains ont été vendus, probablement à dix ou quinze fois plus que leur prix : la livraison se faisait, l'État américain payait (l'État ukrainien devant en principe rembourser à la fin de la guerre, mais il n'est pas réaliste de le penser), et le commerce se faisait, dans le fond, entre les États-Unis et les États-Unis eux-mêmes, puisqu'allant du trésor américain à celui de Lockheed Martin, le tout étant payé par la dette. L'impact se fera sur deux variables économiques extrêmement importantes : le prix du pétrole, et les taux d'intérêt à cause des déficits budgétaires.
Les pays européens en souffriront d'autant plus, en tant que victimes collatérales (du fait de leurs affinités malvenues avec la puissance américaine, et parce que nos pays sont dans la position incohérente d'alliés d'Israël et de soutien financier, sans aucun contrôle, d'une organisation comme le Hamas). Concernant l'avenir des BRICS, on avait assisté au début d'une recomposition diplomatique mondiale liée au conflit russo-ukrainien, partant de la Russie vers la Chine en passant par la Turquie, l'Iran et l'Inde.
Ce mouvement d'émancipation par rapport au colonialisme blanc (colonialisme blanc représenté par le G7, le FMI et la Banque mondiale) n'a pas de raison de s'arrêter. Certes, l'Arabie Saoudite et l'Algérie vont sans doute devoir attendre avant de rejoindre les BRICS, mais ceux qui veulent éviter de se retrouver face à un porte-avion américain verront toujours l'intérêt d'une alliance avec la Russie ou avec la Chine. Aussi paradoxal que cela paraisse, le projet de grand couloir de l'océan Indien devrait sortir plus fort de la reprise du conflit israélo-palestinien de 2023.
Israël apparaît, du moins au Moyen-Orient, comme le porte-avion du colonialisme américain ou européen, quoi que l'on en pense. La Russie, de son côté, n'aurait plus qu'à prendre Odessa, la seule porte de sortie de l'Ukraine (pays, du reste, écartelé entre la Hongrie au sud, la Pologne à l'ouest, et la Russie à l'est). En cas de changement de régime iranien, le projet de grand couloir géopolitique non occidental aurait encore plus de chances d'aboutir. Le mouvement de l'Asie centrale vers l'Inde devrait donc se poursuivre en tout état de cause.
Cependant, si le Moyen-Orient s'en retrouvait exclu, du moins temporairement, ce serait dommage pour l'Europe, qui pourrait dans le cas contraire bénéficier du développement du Moyen-Orient du fait de sa proximité relative, tandis que les gagnants, en cas d'exclusion du Moyen-Orient au détriment des pays européens, seraient plutôt le Japon et la Chine. On pensait que le conflit israélo-palestinien était en fin de vie, maintenant les Européens ont intérêt à souhaiter la fin du régime des Mollahs en Iran. En tout cas, les cartes sont en train de tomber.
Pour comprendre, avec Charles Gave et sa fille Emmanuelle Gave, les conséquences économiques, pour la France, de la guerre au Moyen-Orient, il faut revenir à la situation consécutive à la chute du mur de Berlin en 1989 : dans un premier temps, Francis Fukuyama évoquait la fin de l'histoire ; dans un deuxième temps, Samuel P. Huntington passait au choc des civilisations. Depuis les accords d'Abraham, il était question d'une réconciliation entre les fils d'Isaac et ceux d'Ismaël. Il est évident que ce qui s'est passé le 7 octobre 2023 était une tentative de faire échouer les accords d'Abraham, en provoquant une action abominable puis une réaction abominable. Il s'agissait d'un piège, à l'instar des événements du 11 septembre 2001.
Emmanuelle Gave ouvre, à ce propos, une parenthèse sur les Évangiles et la joue tendue : cette dernière ne veut pas dire qu'il faut se laisser faire, mais qu'il faut prendre du recul, pour préparer le coup d'après avec plus de réflexion. Toujours est-il que le croissant de développement déjà évoqué plus haut, s'il n'est pas fondamentalement remis en cause, risque d'être freiné par la reprise du conflit au Moyen-Orient, et le problème de l'Iran reste entier. Il faut se souvenir également du choc pétrolier de 1973 et de son impact inflationniste sur les pays occidentaux. Les événements du 7 octobre 2023 vont-ils provoquer une crise comparable ? Que nous reste-t-il si nous ne pouvons avoir ni le pétrole russe, ni celui du Moyen-Orient ?
Il ne faut pas oublier non plus que, dans un pays comme la France, une hausse du prix du pétrole entraîne une hausse des impôts. Avec une hausse des impôts et une baisse de notre niveau de vie, nous allons vers une récession, qui entraînera à son tour une baisse des recettes fiscales. Donc il faudra emprunter d'autant plus. Or, les taux de marché ont monté, sans compter l'augmentation de la pression de la dette, indexée sur l'inflation, et peuvent encore monter sous la pression allemande, dans un contexte inflationniste créé par la BCE, qui a imprimé trop de billets.
Si la quantité de monnaie augmente de 500 % dans une économie avec, tout au plus, une croissance de 2 % par an, la masse de monnaie excédentaire va d'abord dans l'immobilier. La BCE a directement acheté le déficit budgétaire des pays, ce qui était formellement interdit par tous les traités, tout comme était interdite l'émission obligataire, qui a pourtant été faite, avec une garantie commune de toute l'Union européenne. La mutualisation des dettes est non seulement interdite, mais également anticonstitutionnelle en Allemagne.
C'est à se demander si le Covid-19 n'est pas l'instrument qui a été choisi pour prétendre qu'il était impossible de prendre d'autres mesures, prétexte d'autant plus évident que les statistiques de soi disant mortalité du Covid-19 n'apparaissent pas dans les statistiques démographiques de la France. Maintenant, les prochains problèmes auxquels il faut s'attendre concernent les taux d'intérêt, les déficits budgétaires, la baisse du niveau d'activité économique et la baisse du niveau de vie. Les effets de l'enclenchement s'annoncent difficiles à arrêter, d'autant plus que le marché obligataire est lui aussi devenu un désastre, dont même les médias de masse commencent à parler.
Le dollar, lui, va mieux tenir que l'euro en l'occurrence. Déjà, les Américains bénéficient d'une indépendance, dans le domaine de l'énergie, que les Européens, d'une manière générale, n'ont pas, même si les Américains ont eux aussi un problème de marché obligataire comparable au nôtre. Quant au Bitcoin, un État souverain peut demander à avoir accès aux transactions effectuées par ses ressortissants mais, en tant que crypto-monnaie, le Bitcoin échappe en principe aux effets directs des politiques gouvernementales, dont l'euro numérique se présente comme une menace pour la liberté que représente encore le cash.
Dans ce contexte, l'entretien avec l'économiste Jacques Sapir permet d'abord de faire un point sur les différents scénarios possibles de sortie du conflit russo-ukrainien. Sapir, à ce propos, rappelle ce que la Russie attend de l'Ukraine : que cette dernière n'entre pas dans l'OTAN, et qu'elle se désarme. Ces deux conditions seraient acceptables dans le cas d'un gouvernement qui aurait pour objectif la survie de son pays. L'avenir de l'Union européenne étant incertain à l'horizon des dix ou des quinze prochaines années, l'Ukraine aurait intérêt à accepter les conditions russes, sachant son existence menacée non seulement par la Russie mais aussi, surtout en cas de fin de l'Union européenne, par des pays tels que la Hongrie et la Pologne.
Pour l'instant, le nationalisme identitaire ukrainien, bien que minoritaire dans le pays, est toujours aux commandes, imposant sa volonté à Volodymyr Zelensky. En 2014, le commerce avec la Russie représentait 45 % du commerce extérieur ukrainien, celui avec l'Union européenne 27 %. Autrement dit, la Russie représentait, pour l'Ukraine, une fois et demi l'ensemble du commerce ukrainien avec l'Union européenne. Actuellement, l'Ukraine est bloquée dans son processus de négociation, soit à cause de l'OTAN, soit à cause de la pression des nationalistes identitaires ukrainiens. L'hypothèse la moins mauvaise pour l'Ukraine est celle qui lui permettrait de sortir de ce conflit comme la Finlande s'était finalement relevée de la "guerre de Continuation" soviéto-finlandaise (entre le 25 juin 1941 et le 19 septembre 1944).
Du point de vue militaire, on a encore eu la confirmation du fait qu'un armement moyen sur le plan de la performance technologique mais, en même temps, disponible en grand nombre, était plus efficace qu'un armement sophistiqué mais coûteux, difficile à entretenir et disponible en petit nombre. La létalité des armes modernes est telle que, en cas de conflit de haute intensité en Europe en 2023, il s'agira forcément d'une guerre de batterie contre batterie, principalement d'artillerie. Les Russes, par ailleurs, sont engagés dans une production quotidienne massive de drones.
Un porte-avion américain peut encore servir à maintenir à distance les avions de l'adversaire, cependant les missiles ont une portée de 1000 kilomètres tout au plus, ce qui ne permet d'avoir qu'un contrôle de l'espace aérien autour d'une flotte et, surtout, l'équipement militaire américain est certes coûteux, mais surestimé en termes de puissance. Dans ces conditions, les défenses américaines ne résisteraient probablement pas à une attaque à saturation. La force navale américaine, dans tous les cas, n'est pas adaptée à l'élimination du Hamas, laquelle nécessiterait des troupes terrestres.
Par cette transition, Sapir en vient à son analyse du conflit de Gaza et du conflit israélo-palestinien dans le cadre défini plus haut, celui d'une réorganisation du monde autour des BRICS, réorganisation potentiellement retardée par le retour au choc des civilisations auquel on assiste. Sapir présente le Hamas comme une organisation terroriste, qui plus est islamiste, dont le but n'est pas la libération de la Palestine ni une solution à deux États, mais la victoire de la bannière de l'islam au Moyen-Orient et dans le monde. La démarche eschatologique de cette organisation fait que ses membres accordent une importance secondaire au nombre de morts.
Les autres organisations palestiniennes ayant, pour leur part, des objectifs nationalistes, elles n'excluent pas la négociation. En revanche, il est impossible de négocier avec les tenants d'une démarche eschatologique, lesquels ne veulent que la conversion ou la mort des autres. Il faut rappeler aussi que cette organisation qu'est le Hamas a été favorisée par le gouvernement israélien (relation parfois présentée, schématiquement, sous le jour d'une création, interprétation qu'il faut lire en connaissance des tentations manichéennes liées à l'intensité du conflit). La presse israélienne se montre volontiers critique à l'encontre du gouvernement de Benyamin Netanyahou. Les faits du 7 octobre 2023 peuvent s'expliquer par une attention plus grande accordée, du côté israélien, à la menace iranienne qu'à celle du Hamas. L'entretien se termine par un débat entre Sapir et Gave autour de la viabilité d'une solution à deux États.
C'est là que se pose, plus généralement, la question d'une guerre mondiale ou d'un monde en guerre, selon les termes de l'entretien avec le criminologue Xavier Raufer et le député européen RN Hervé Juvin. En présentant son livre Jeffrey Epstein - L'âme damnée de la troisième culture, Raufer souligne le fait que le sujet rejoint celui des conflits mondiaux, car le lien entre ces derniers et Jeffrey Epstein (1953-2019), prédateur sexuel officiellement retrouvé pendu dans sa cellule de prison, anciennement proche des dirigeants politiques et économiques américains (notamment ceux du Parti démocrate et des grandes entreprises de la Silicon Valley), tient en quelque sorte à la démonstration de ce qu'est le vrai visage de l'impérialisme planétaire.
Gave en revient de ce fait à la crise de légitimité des dirigeants occidentaux et de leur entourage. La problématique soulevée par le conflit israélo-palestinien, ravivé depuis le 7 octobre 2023, interroge le devenir de l'organisation des pays non occidentaux, lesquels, désormais hostiles aux élites corrompues de l'Occident impérialiste, essaient de s'organiser de façon autonome, à travers notamment le croissant géopolitique, déjà mentionné plusieurs fois au fil des paragraphes précédents, en train de se former autour des pays de l'océan Indien.
À l'appui des propos de ses deux interlocuteurs, Juvin constate que, contrairement aux principes énoncés par les tenants de la globalisation, ce n'est pas le rule of law qui régit le marché dominé par ces acteurs, fait également vérifiable au niveau français, où les lois sont soit perverties, soit inappliquées. C'est pourquoi les BRICS accusent les pays occidentaux de leur vendre une doctrine légaliste que ceux-ci ne mettent pas en pratique à leur propre niveau. Face au conflit israélo-palestinien, l'Union européenne, dont l'influence recule dans le monde, se retrouve prise au dépourvu, peinant à réaliser qu'il ne suffit pas de produire des textes ou de donner de l'argent pour permettre aux conflits de trouver une issue. De plus, l'idéologie de la CEDH à montré ses limites face aux attaques terroristes.
Israël, qui incarnait un rêve pour certains, voit son avenir menacé à l'horizon de la prochaine décennie. En termes d'estimation de durée, je note, de ce point de vue, un parallèle avec ce qui a été dit plus haut concernant l'Union européenne, Israël et l'UE ayant en commun l'incertitude quant à leur avenir à moyen terme. La question est de savoir si le conflit va s'étendre, et dans quelle mesure. D'où l'intitulé de l'entretien : nous n'allons peut-être pas vers une guerre mondiale, mais nous allons vers un monde en guerre. Les conflits locaux, poursuit Juvin, risquent en effet de se multiplier. Par exemple, au Sahel, des groupes armés sont en train de se constituer avec l'ambition d'établir un nouveau califat. La perspective qui se dessine est celle d'une guerre de civilisation. C'est pourquoi la France doit revenir à une politique de civilisation, comme le font déjà d'autres pays dans le monde en se référant aux conceptions du droit de Carl Schmitt (1888-1985). Ce virage nous serait profitable à tout point de vue, y compris sur le plan économique.
Parmi les tendances lourdes qui se dégagent, Recep Tayyip Erdoğan, le président de la Turquie, a lancé le projet d'un grand canal à grand gabarit, à l'ouest d'Istanbul, canal qui permettra à la mer Noire d'accéder directement à la mer Méditerranée, donc sans passer par les Dardanelles ni se plier aux accords de Montreux. Raufer souligne que c'est un coup de génie, l'équivalent, au vingt-et-unième siècle, du canal de Suez et du canal de Panama, car un débouché pour tout le continent asiatique. Ce canal est en train d'être creusé, les travaux sont en cours. Pendant qu'Ursula von der Leyen, agent pro-américain déclaré, adhérait à la politique américaine de suppression de la vente du pétrole russe, bloquant des cargos en attente, ceux venant d'Arabie Saoudite, assurés en Russie, pouvaient, eux, circuler.
L'apaisement des russes est d'autant plus grand que, le pétrole qu'ils vendent arrivant ou non à destination, de toute façon il est déjà payé. Cet exemple montre une fois de plus l'inconséquence (pour ne pas dire la bêtise) de von der Leyen et des européistes. C'est d'autant plus vrai que les Turcs ont pu racheter le pétrole russe à moitié prix, ce qui a permis à la Russie de gagner encore plus d'argent. Indirectement, c'est donc von der Leyen qui a financé la campagne électorale d'Erdoğan. Parmi les scénarios envisageables, aucun, pour l'instant, n'est favorable aux pays européens. Juvin conclut l'entretien en rappelant que, d'ici à 2030, les pays de l'océan Indien (y compris les pays d'Afrique de l'est) seront devenus le premier bassin de main d'œuvre jeune et qualifiée au monde. Actuellement, l'Inde forme chaque année entre quinze et vingt-cinq fois le nombre d'ingénieurs des États-Unis. Les Indian Institutes of Technology bénéficient d'une reconnaissance mondiale. On découvre tous les jours, en outre, de nouvelles richesses à l'est de l'Afrique. Et ceux qui connaissent tout le monde se trouvent aujourd'hui à Mascate, la capitale d'Oman. Par conséquent, si la France veut s'en sortir, elle doit devenir un acteur eurasiatique.